Faut-il interdire la cigarette dans les films français ?

La cigarette, petit accessoire majeur du cinéma, serait-elle en passe de vivre ses dernières heures sur les grands écrans français ? Avant de faire marche arrière, la ministre de la Santé avait insinué qu'une telle mesure pourrait être prise en France au nom d'une politique de santé publique. Frissons chez les cinéphiles, qui ont crié pas touche à la liberté de création.

Diva, french movie, 1981

Source: Diva

Essayez d'imaginer deux secondes les films de Sautet sans fumée de cigarettes... Autant regarder un Clint Eastwood sans Clint Eastwood. C'est pourtant le scénario horrifique qui tourne depuis quelques jours dans la tête des cinéphiles français.

Tout a commencé le 16 novembre, quand la sénatrice de la Sarthe, Nadine Grelet-Certenais, a estimé que le tabac dans le cinéma français en banalisait l'usage auprès des plus jeunes voire en faisait la promotion. Les films, ces doux fétiches, une véritable « incitation culturelle à fumer » ? Refrain connu : le cinéma doit refléter ce que la vie devrait être, et non pas ce qu'elle est.

Mais la polémique a vraiment pris quand Agnès Buzyn, la ministre de la santé, a déclaré, en appui des propos de la sénatrice, ne pas comprendre « l'importance de la cigarette dans le cinéma français » avant de promettre « une action ferme » contre la cigarette à l'écran... De quoi faire bondir les amateurs de cinéma qui ont immédiatement hurlé à la censure hygiéniste. La création artistique comme relai des mesures de santé publique de l'Etat ? Inflammables, les réseaux sociaux n'ont pas manqué de s'embraser. Souvent avec humour...

« Injecter de la morale dans le septième art, c'est verser du coca dans un Château-Lafite », s'est amusé Raphaël Enthoven dans sa chronique radiophonique. Certains ont pointé la contradiction qu'il y a selon eux à tolérer des scènes de violence ainsi que la représentation de la drogue dans les films tout en voulant bannir la cigarette. D'autres, comme le réalisateur et acteur Xavier Beauvois, semblent ne pas trop y croire :

Quant aux instances du cinéma hexagonale, elles n'ont pas tarder à rejeter l'idée d'un cinéma politiquement correct, normatif et aseptisé. Interrogé par l'AFP, Frédéric Goldsmith, délégué général de l'Union des producteurs de cinéma (UPC) a estimé qu' "Un film n'est pas là pour refléter la société telle que l'Etat voudrait qu'elle soit" et que la lutte contre le tabagisme "ne peut pas passer par une atteinte à la liberté de création". Chez Unifrance, l'organisme de promotion du cinéma français à l'étranger, Serge Toubiana a comparé l'idée d'une interdiction de la cigarette à l'écran à « un aveu d'échec de la politique publique en matière de santé ». Selon lui, « le cinéma est un art, un plaisir, un divertissement, pas un outil de propagande pour la cigarette. »

Si les personnages des films n'allumaient plus leur clope après l'amour, si partait en fumée cet instant magique où leur cigarette grésille dans le noir en illuminant leur visage, les Français (et les autres) auraient-ils moins envie de s'en griller une ? L'OMS préconise en tous cas la diffusion de messages anti-tabac avant les projections, la disparition des marques de cigarettes à l'écran, une classification en fonction de l'âge des films où apparaissent des fumeurs et que les producteurs attestent n'avoir rien reçu en échange de la présence de tabac dans leurs films. Les cigarettiers ont beau ne pas officiellement faire de placement de produits dans les films, une enquête-documentaire avait par exemple révélé que Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain avait reçu un financement d'Imperial Tobacco en échange de l'apparition de Gauloises. 

La Ministre de la Santé a finalement éteint l'incendie en déclarant il y a quelques jours : « Je n'ai jamais envisagé ni évoqué l'interdiction de la cigarette au cinéma ni dans aucune autre œuvre artistique. La liberté de création doit être garantie. » Depuis, Agnès Buzyn a donné un autre motif d'indignation aux Français en affirmant au sujet des remboursements de soins optique que l'Etat n'était pas là pour « offrir une monture Chanel à tout le monde ». L'occasion de se souvenir que la cigarette a parfois du bon : le temps de l'allumer au moins, on se tait.


Share

Published

By Mathilde Blottière


Share this with family and friends